Alain Ayadi

Berlin; Kreuzberg 36

C’était une journée ensoleillée et d’un temps un peu accablant lorsque je suis arrivé à Berlin au volant du grand fourgon que je conduisais sur l’autoroute depuis déjà deux jours. Mon voyage m’avait amené de La Rochelle de l’Ouest de la France vers la capitale de l’Allemagne.  Après une nuit à l’hôtel en Belgique, j’arrivais dans l’après midi à mon nouveau domicile. Une fois arrivé dans le quartier, ce n’était pas évident de trouver un stationnement pour mon grand véhicule. Heureusement, un dimanche d’été beaucoup de Berlinois partent pour gagner les bords d’un lac dans les alentours ou la côte de la mer baltique dans le nord de la région. J’étais fatigué de ce long voyage. J’avais roulé des heures et des heures sur le bitume noir ou gris, parfois un peu fluorescent des autoroutes. Il régnait aussi une certaine chaleur dans le fourgon et je n’avais pas tellement bien dormi la veille. A 100 mètres de mon nouveau logement, je descendais du camion. Je voyais déjà le portail en fer qui donnait sur la cour de mon nouveau logement. Un peu étourdi, je m’approchais de ce portail, avec mon grand sac beige à la main. En face, au long des batîments de la rue étaient stationnées des voitures en ligne verticale. D’un oeil j'observais un homme, entre les voitures, qui se courbait presqu'en dessous d’un véhicule. Je m’approchais un peu plus du portail du passage.  L’homme sortait des vieux papiers et des journaux du dessous de la voiture et les jetait dans les air au dessus de sa tête. Presque arrivé au portail du passage, je m’arrêtais pour un moment. Bien surpris, je regardais l’homme d’un air étonné. Il portait une barbe et avait des cheveux châtains un peu frisés. Les vêtements semblaient bien usés. Il prit conscience de ma présence et détourna légèrement son corps. Son regard fixait le mien. Il avait des yeux pâles. Tout à coup, avec un mouvement brusque et rapide, il se courba à nouveau et avant que je puisse l'apercevoir, lança une bouteille de bière dans ma direction. J’ai eu à peine le temps de réagir. Je sautais rapidement d'un pas dans la direction du portail. La bouteille éclata brutalement contre le mur, un demi-mètre derrière ma tête. Soudainement, j’ai compris la violence de ce geste et ouvrais vite le portail pour me mettre à l’abri. Je le fermais rapidement avec un grand bruit métallique. Avec un hurlement, l’homme se précipita vers le portail et mit ses mains autour de deux barres de fer et commença à m’insulter d’une voix très forte. Mon Dieu un fou, un vrai fou! J’étais bouche bée et regardais la personne agir, en silence. Il ne pouvait plus m’attaquer. Quel diable! Bienvenu à Kreuzberg!     Cela faisait un peu de temps que j’habitais dans mon quartier de Kreuzberg quand l’hiver arriva. J’avais pris l’habitude de fréquenter souvent les mêmes trois bars près de chez moi. Je préférais le Ramona, car on y écoutait de la bonne musique. J'ai découvert les Kills lors d'un passage.  J’entrais de temps en temps dans une bonne petite discussion avec d’autres habitués.  Certains étaient un peu drogués et ils manquaient de logique dans ce qu’ils racontaient. Un d’eux, Ahmed, me montra un jour un dessin technique d’une grande tour sur son ordinateur portable, qu’il voulait faire construire dans le Görlitzer Parc, juste à coté du bar. Je trouvais cela curieux, car Ahmed n’avait ni boulot, ni de formation d’architecte mais il tenait, tout de même beaucoup à son projet... Je commencais aussi à faire superficiellement la connaissance des barmaids. Certaines étaient sympas, d’autres je les aimais moins. Dans cette nuit froide et déprimante, où l’espoir semble partir aussi vite que vos doigts gélent sous l’air et le vent glacial de la nuit berlinoise, je rentrais dans le bar. J’avais juste l’objectif de ne pas passer toute ma journée dans mon appartement. Je m’installais à même le bar, entre plusieurs autres clients qui m’étais inconnus et qui se sont aussi contentés des tabourets. Je commandais une bière brune, sortais mes cigarettes et m’amusais un peu à regarder les autres clients. Dans le coin qui donnait sur les escaliers pour descendre aux toilettes, étaient assis trois ou quatre rebeuds.  Je pensais qu’ils étaient libanais ou palestiniens. Normalement, ils restaient entre eux et certains d’eux buvaient aussi de l’alcool de temps en temps. À coté de moi étaient assis deux allemands.  Ils buvaient la bière du célibataire. Une Weizenbier. L’un des deux était un peu dégarni. Les deux étaient mal habillés et tout en noir. Ils discutaient de la nouvelle loi antitabac qui venait d’entrer en vigueur mais n’était pas vraiment respectée dans les bars de Kreuzberg. Les gens fumaient comme d'habitude (donc aussi de la beuh). Cela faisait parti de la culture du quartier. Ce soir là, la plupart des clients étaient masculins.    Le bar appliquait aussi le concept universel de jeunes barmaids, souvent habillées un peu sexy derrière le bar et des clients masculins, souvent bien plus vieux assis au bar en face d’elles. Les filles se faisaient admirées et les clients quittaient le bar ivres de désir et d’alcool. Le propriétaire devenait riche, je savais qu’il passait une bonne partie de l’année dans les Caraibes pour pratiquer la voile. Il avait marié une femme du Barbados et je me demandais comment elle supportait l’hiver berlinois. J’étais dans mes pensées... Je me demandais pourquoi l’été était si bien à Berlin et l’hiver si terrible. Je me demandais si je devais partir. La barmaid  faisait un mouvement  dans ma direction. Je savais qu'elle était d’origine albanaise. Je n’aimais pas ces yeux perceurs, ni son nez croche, ni ses habits. Elle me connaissait de vue. Sèchement, elle m’adressa la parole: 'Dis- moi, tu n’as pas volé un appareil photo numérique?' Je pensais que j’entendais mal: -'Un quoi? Un appareil photo'- Elle répondit, avec un ton légèrement agressif. -Oui, tes voisins au bar disent que tu as probablement pris leur caméra.' Je me tournais et remarquais qu’ils étaient partis. Je les avais à peine remarqué. Je me disais : Quelle connasse! Elle ne peut pas être si bête. Si j’avais volé la caméra, je ne l’avouerais certainement pas. Et si je ne l’avais pas prise, ces accusations seraient une insulte! Pourquoi alors me parler de cela? 'Non, je ne l’ai pas pris. Et de toute façon, si je le voulais je m’en achèterais dix demain.' Son regard devenait noir. Plus noir que ses yeux. Elle ne voulait pas me croire. Elle voulait juste m’insulter.   'De toute façon, c’est ce qu’ils m'ont dit', insista-t-elle. 'Bon écoute, cela n’est vraiment pas mon affaire.' Je n’étais vraiment pas amusé. 'Appelle la police', fut ma dernière réaction.   Je lui laissais les trois Euros pour la bière sur le comptoir, pris mes gants et mon écharpe et quitta les lieux. J’en avais ras-le-bol! Dring, dring, dring, dring, dring… J’ouvrais les yeux. J’entendais le téléphone-fax sonner. Un dimanche ! C’est étrange, je me disais. La ligne téléphonique de mon fax était uniquement réservée à l’usage professionnel. Mes amis, ma famille, mes connaissances, tous connaissait mon numéro de fixe privé. Il devait sonner depuis quelques minutes. Je décidai de l’ignorer. Je me levais et me faisais un café dans la cuisine américaine derrière les écharpes indiennes de mon salon. Quelques minutes plus tard, sous la douche j’entendis à nouveau le fax sonner. Je me suis dit  que c’était peut être urgent ; je suis sorti de la douche en attachant une serviette autour de mon corps pour aller dans le bureau.  Je ne me précipitai pas ; le téléphone sonnait toujours. ‘Oui, hâllo .’ ‘Salut, c’est Lutz le frère de Mirco.’ Je me souvenais de l’avoir vu brièvement dans l’atelier de Mirco il y avait quelques semaines. Il était musicien. Un type avec une barbe noire et des cheveux un peu long et lisses. Nous avons discutés d’un roman science fiction que je ne connaissais pas.  ‘Mirco m’a filé ton numéro de téléphone. Il dit que tu veux vendre ta guitare.' ‘Ma guitare ? ‘ j’étais un peu surpris. Je ne me souvenais pas vraiment d’avoir dit cela à Mirco. ‘Oui, ta Fender. Mirco disait que tu voulais vendre ta Fender Télécaster.’ ‘Eh, oui. J’y avais peut être pensé, mais ce n’et plus d’actualité en ce moment.’ Je me rappelais maintenant que Mirco m’avait raconté que son frère vendait des instruments via internet. Il semblait que son frère postait  des annonces pour des instruments qu’il ne possédait pas vraiment. Je savais qu’il utilisait le compte de Mirco car la platforme l’avait exclu du business. Il apparaissait que son frère avait vendu une guitare deux fois. Un acheteur suisse avait porté plainte pour fraude contre Mirko. Plus tard, il avait été obligé de passer devant un tribunal car le compte vendeur était à lui. Je ne voyais aucune raison de lui laisser ma guitare pour une bouchée de pain.  Je marche sur les pierres/dalles de la nouvelle construction de là voie piétonne , au longue du canal sur l’autre côté de ma rue. La grande affiche en bois de l’Union Européen qui annonce cette construction est toujours là.   Sur d’autres affiches collées sur les boîtes de l’électricité ou des murs l’extreme gauche appelle au premier mai révolutionnaire ; les affiches montrent souvent les portraits de Lenine, Marx et Engels, parfois aussi Che. Ils demandent tous l’abolition du capitalisme. Je me disais que ca ne serait pas pour demain! Je croise le pont qui partage Neukoelln de Kreuzberg. Je m’arrête et regarde une notice collée sur une lanterne. Quelqu’un cherche des témoins. ‘As-tu vu l’attaque a main armée le samedi 4 avril vers 3 heures le matin sur le sentier au longue de canal du Paul-Lincke-Ufer à la hauteur du numéro 46 ? S’il te plaît appelle moi au 0151-7XXXXXX. Je savais qu’il y avait des problèmes avec des petits délinquants dans le quartier. Ce type d’affiche n’était pas si rare. Le buraliste, Monsieur Aydin, ou j’achetais mes cigarettes, revues et billet de loto avait déjà subi deux tentatives de cambriolage de son magasin pendant la nuit. Il m’avait raconté cela avec beaucoup de colère dans sa voix. Je traverse le pont. Un groupe des trois jeunes avec des dreadlocks et un chien croise mon chemin. Les trois ont tous une bouteille de bière dans la main. Je marche sur le sentier au long du canal. Ici il y a presque pas de crottes de chiens. J’aime bien marché ici. Parfois ; je fait un footing . L’administration des voies de l’eau de Berlin veut réaménager les bords du canal. Il y a de la polémique,  car les protestataires disent que les dégâts ont été causés par les bateaux mouches et leurs vitesse trop rapide. Sur certains morceaux le mur du canal s’est effondré. Surtout au niveau de la Ankerhuette. Il s’est constitué un comité riverains et de manifestants. Le projet prévoit de raser une grande quantité d’arbres de la voie fluviale. Le dessin architectural montre une coulisse lisse digne d’un nouveau quartier. Un jour j’avais assisté brièvement et par hasard à une de leurs réunions sur la Admiralsbruecke. En principe, j’avais seulement voulu faire une petite promenade quand j’ai vu un groupe de gens réunis sur le pont. La petite foule avait attiré mon attention et je les ai rejoint pour voire de quoi il s’agissait. Les gens parlaient des bateaux mouches et après dix minutes le député Spoerli apparut. Il était le seul député vert avec un mandat direct à l’assemblée nationale.  Je me suis mis à ses cotés et me suis demandé si je devais demander une photo avec lui. Finalement j’ai trouvé cela un peu con.  Certains de personnes, probablement des pédagogues s’échauffaient vraiment a ce sujet. Ils essayaient avec des véhémence de convaincre le député de la gravité du problème. Certains suggéraient un appel au boycott des bateaux mouches. Les pédagogues dans la cinquantaine m’agacent un peu et je tachais donc de m’éloigner avant de m’énerver. Quelques mois plus tard la Admiralitaetsbrucke devenait le lieu préféré des jeunes fêtards espagnols, italiens, britanniques et américains pour passer une nuit ivre et désinvolte sous le ciel berlinois. Un autre comité de riverains se constituait à cause du bruit. De préférence ils aiment faire des mesures de décibels de fenêtres avoisinantes.    Lors d'une visite dans mon ancien quartier des années plus tard, j'aperçois des autocollants avec un pictogramme sur les poteaux de lampadaires et boites électriques dans les rues.  Le pictogramme souhaite dévoiler, une information importante aux touristes dans le quartier: Le mot Berlin, un coeur croisé et u pour you. En clair: Berlin t'aime pas!  Pas certain que les touristes captent cette information.   Autour de 68 c'était 'ami go home' (américains rentrez chez vous) et maintenant ils s'emmerdent avec les touristes fréquentant des hostels et airbnbs.  Depuis que j'ai commencé ce récit, le prix du immobilier à doublé à Kreuzberg et Neukoelln. Presque pareil pour les loyers.    La vie pas cher du temps du mur a disparu à Berlin. Le mode de vie d'artistes et des bohemians est menacé. Le temps de l'absence de boutiques chics et hors prix, d'épiceries bio et bars pour chauffeurs de Porsche est résolu.    Il me semble que la caravane à pris une nouvelle direction. On dit que Leipzig est devenu le nouveau Berlin…

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Published on e-Stories.org on 08.09.2010.

 
 

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